De la sécularisation à la Laïcité, la construction d'un système de pensée


Récemment l'Amicale Laïque a présenté sa position par rapport aux discours prononcés par le Président de la République au Latran et de Ryad. Dans ce document, nous énoncions que « les membres du Comité Directeur tiennent à rappeler qu'ils s'inscrivent dans le mode de pensée que l'on nomme pensée Laïque ». Afin d'être plus précis, par rapport à ce que nous défendons, il nous est apparu nécessaire de mieux définir ce qu'est pour nous la Laïcité. En effet, aujourd'hui elle est devenu un terme générique employé à tout propos le plus souvent sans précision sur ce qu'on y met derrière.

Nous nous proposons dans le cadre d'une première note de parcourir le chemin qui nous mena à la Laïcité. Puis dans une seconde à venir, après avoir dressé l'inventaire des métamorphoses qui ont touché son environnement, nous envisagerons les défis qui nous sont lancés pour inclure le concept de Laïcité au sein de la société française de ce début de XXIème siècle.

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La séparation des Eglises et de l'Etat est un des aboutissements du long cheminement de la pensée humaine occidentale qui, au cours des siècles, s'est affranchie des dogmes de l'Eglise en imposant petit à petit l'idée que la raison était en capacité de rechercher la Vérité.


Comment s'est fait le cheminement de la pensée.

Dans l'Antiquité la philosophie est marginale et les philosophes n'ont pas d'influence sur la religion. La chrétienté du Moyen Age, grâce à la réintroduction des philosophes grecs que les musulmans venaient d'exhumer, a cru pouvoir unifier la foi et la raison à travers ses grands théologiens tel Saint Thomas d'Aquin .

Mais à la Renaissance, la philosophie sort des monastères et commence à investir le domaine de la science qui, à cette époque, n'est qu'en germe au sein d'autres spécialités telle que l'alchimie. Les philosophes sont alors face à trois pouvoirs : l'Eglise, la Force (le pouvoir de la guerre) et l'Economie. Ils entreront en opposition avec un seul : l'Eglise.

La Réforme tient le discours émancipateur qui s'oppose à la position enveloppante de l'Eglise et qui aidera à la séparation entre théologie et cosmologie (sciences) (Pascal, Calvin)(1). Parmi les réformateurs Calvin prône que la Religion n'est pas un système politique alors que d'autres penseurs relativisent la religion en constatant qu'elle n'est pas une, mais différente partout. Spinoza, lui, critique la valeur des écritures et Bayle dit qu'on ne peut contraindre la conscience et revendique la « conscience errante ». Autre sujet de discorde est la querelle sur le bien et le mal qui amène Kant à penser que la Religion n'est qu'un espoir et Bayle à réfuter la synthèse du bien et de la raison , et de déduire que la raison ne peut être religieuse !
Avec les Lumières le savant va prendre la place du clerc car, entre temps, la cosmologie est devenue science et désormais le savoir commence à permettre la maîtrise de la nature. Désormais, la recherche du bonheur peut s'effectuer prioritairement sur la terre. La notion de bonheur terrestre peut se séculariser, laissant encore pour un moment l'au delà à la Religion. La Constitution de l'An 1 de la République affirme que « le but de la société est le bonheur commun ».

Au sortir des guerres napoléoniennes naît le XIXème siècle qui est le temps de la modernité triomphante. En France le progrès est le ciment de l'unité nationale. Des personnes de croyances différentes s'unissent alors, pour agir ensemble dans la perspective de ce progrès technique, scientifique, moral, et désormais social.

Faisons là une étape sur le chemin de la pensée et voyons comment, pendant ce temps, les institutions ont évolué.


Sécularisation et laïcisation des institutions

Evolution

Alors que la pensée évolue tout au long de cette longue période du dieu omniprésent vers le dieu maître de l'au-delà, les instituions se sécularisent peu à peu :

d'abord sous l'effet du prince qui, dès le XIème siècle, « en passant d'une logique d'expansion territoriale à une logique de circonscription administrative (2) a assujetti sur la terre, la communauté humaine de son territoire dans son ensemble sous sa seule médiation, vouant par là même à l'échec la volonté pontificale d'unir ciel et terre en réunissant pouvoir spirituel et pouvoir temporel en la seule personne du Pape ». Cette séparation consommée, les institutions commencèrent à se séculariser. Elles perdirent alors, peu à peu de leur pertinence sociale et culturelle issue de l'univers religieux au profit de la culture commune. Le droit et la justice se « privatisent » d'abord très lentement, puis plus rapidement quand le commerce se développera.

Puis, les techniques et les sciences commençant à s'émanciper du monde issu la tradition religieuse, elles commencent à se développer malgré les condamnations de l'Eglise lors de certaines découvertes (Galilée, Copernic).

Des quelques services d'Etat sécularisés à la fin du Moyen Age, au fil des siècles, les institutions en tant que telles se sécularisent. Néanmoins, au tournant du XIXème siècle les Etats aspirent à plus d'autonomie par rapport à la religion. En France, tout en signant le Concordat avec la Papauté, Napoléon Ier, en promulguant par exemple le code civil ou la loi sur le monopole de la médecine (1803) participe au franchissement par la France du « premier seuil de laïcité (3)» Ce processus de laïcisation n'est pas, comme on le croit souvent, circonscrit qu'à notre pays, il concerne tout autant l'ensemble de l'Europe et les Amériques.

En France, l'attitude des catholiques et la volonté des républicains de la IIIème République naissante, de pouvoir transmettre les savoirs qui permettront aux citoyens d'accéder au progrès, permettent à ces derniers de promulguer les lois créant l'Ecole Publique. La France entre alors dans une nouvelle période de mutation institutionnelle constitutive du second seuil de laïcisation.

Qu'induit le passage de la sécularisation à la Laïcisation ?

La sécularisation peut se définir comme la différenciation et l'autonomisation des institutions séculières par rapport à la religion, entraînant pour celle-ci un affaiblissement de son rôle dans la dynamique sociale et culturelle au profit de la culture commune du lieu. La laïcisation, en revanche, concerne, avant tout, la place et le rôle social de la religion dans le champ institutionnel, la diversification et les mutations sociales de ce champ en relation avec l'Etat et le politique ainsi que la société civile.

Si la sécularisation des institutions s'effectue le plus souvent sans heurts, il peut en être autrement de leur laïcisation. En effet, La Laïcisation peut être plus chaotique du fait que souvent elle modifie non seulement le fonctionnement mais aussi les finalités des institutions. L'évolution des lois scolaires en est un exemple intéressant. Lors de son institution, l'école de la République avait pour mission d'enseigner à tous les élèves les savoirs essentiels dans le cadre de la philosophie du progrès (le programme de la République), alors que les écoles catholiques continuaient à enseigner les mêmes savoirs, mais dans un tout autre esprit, celui de la tradition de la Religion. L'élément conflictuel était alors pour l'Etat Nation France, un problème de représentation identitaire qui dans ses aspects les plus tendus a abouti à la lutte contre les congrégations enseignantes.
Quatre-vingts ans plus tard, lors du conflit de l'école privée (1982 / 1984), fort a été de constater un revirement de l'opinion publique qui pour une majeure partie ne pensait plus que l'école privée (catholique) enseignait une autre France que l'école laïque. Entre temps l'image de l'Eglise catholique s'était nettement modifiée, notamment depuis Vatican II, et l'école catholique pour cette opinion avait connu une sécularisation interne (dûe entre autre à la loi Debré) modifiant les règles du jeu du processus de laïcisation du service unifié d'Education que le gouvernement de l'époque souhaitait mettre en œuvre (4]).

La sécularisation et la laïcisation ne sont donc pas exclusives l'une de l'autre, elles peuvent être successives, mais elles peuvent s'imbriquer, lorsque la religion se repositionne par rapport à la culture commune.


La pensée laïque dans l'Etat laïque

L'Etat laïque ne naît pas subitement. Il est l'aboutissement d'une maturation d'idées qui ont traversé tout le XIX ème . A la fin du siècle, la République recherche la pérennité. Pour y arriver, elle s'appuie et sur le monopole médical créé par l'Empire et que les Républicains défendent depuis l'origine, et, plus récemment, sur l'Ecole.

On peut s'interroger sur l'intérêt, pour la République, de s'appuyer sur une médecine qui à l'époque ne guérissait pas beaucoup plus que les charlatans (personnes qui officiaient hors monopole). L'historien Claude Nicolet (5) nous en donne une explication : c'est parce que depuis la Révolution la médecine est devenue, pour notre pays, « une part considérable de la morale civique » et « nulle part qu'en France le recours à la médecine n'est devenu aussi nettement une obligation morale liée à la nature d'un régime politique précis » (la République). La médecine est aussi un symbole de laïcisation car en remplaçant le prêtre au chevet des mourants, elle a un peu plus repoussé la Religion vers l'au delà. Elle est, en outre, créatrice d'idéaux (le médecin de campagne) et d'espérance (espérance de vie).
Le processus de laïcisation par l'Ecole est bien mieux connu et plus commun aux pays modernes. Cependant si la sécularisation de la morale a été un phénomène commun à tous ces pays, la création de la « Morale Laïque » par la République est un particularisme français qui, en transformant l'Ecole en institution morale a accrédité la croyance du « salut par l'éducation nationale »(6]).
Par la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, le mouvement croisé de désinstitutionalisation sociale de la religion et de constitution de grandes institutions séculières s'achève. Ces dernières étant investies de l'objectif de parvenir à l'instauration réelle «des valeurs de la République » : liberté, égalité, et justice fraternelle, grâce au progrès (économique, politique, social),

Les relations entre l'Eglise et l'Etat sont à cette période très tendues et les conflits qui sont centrés sur l'influence de la religion, sont surtout ressentis aux sein des institutions séculières de socialisation mises en place par la République (l'Ecole, la médecine). Dans ce conflit la laïcité se réfère à la fois à la liberté de penser et à la liberté de conscience. La liberté de conscience, principe issu des Lumières, offre à chaque individu la possibilité d'un choix personnel en matière de religion, de conviction ou d'idéologie. La liberté de penser se conçoit avant tout, à cette époque, comme un élément d'émancipation face à une doctrine qui a tendance à englober l'individu. L'émancipation s'effectue grâce à la science et parce que l'individu est devenu raisonnable. Ce que résumait, Fernand Buisson, par ces propos, dans un de ses discours au début du XXème siècle « on ne fait pas un républicain comme on fait un catholique », (..) : « Pour faire un républicain, il faut prendre l'être humain si petit et si humble qu'il soit [...] et lui donner l'idée qu'il faut penser par lui-même, qu'il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c'est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite. [...] Croire, c'est ce qu'il y a de plus facile, et penser, ce qu'il y a de plus difficile au monde [...] il ne s'agit de rien moins que de faire un être libre ».

Il est important de noter que, dès cette époque, parmi les partisans d'un Etat laïque deux conceptions s'opposent sur la place respective de la liberté de conscience et de la liberté de pensée.

Le premier concept défendu prône une liberté de conscience incluse dans la liberté de penser. Elle est donc un préalable à la liberté de conscience qui ne sera accordée que lorsque tous les individus seront émancipés des enfermements dans lesquels ils se trouvent et lorsqu'ils se seront libérés de la domination dont ils sont victimes. Cette conception a été celle de ceux qui ont menés la lutte anticongrégationiste. Les laïques de ce camp conceptualiseront une laïcité intransigeante, régalienne, exclusive qui par certain aspect la rapproche de la «religion civile ».

Le second concept privilégie la liberté de conscience sur la liberté de penser. Il préconise bien entendu de faire progresser la liberté de penser mais uniquement dans les limites acceptables pour la liberté de conscience. Plus libérale, elle est plus inclusive pour l'ensemble de la société. Elle est plus proche de concepts développés dans d'autres démocraties.

Lors du vote de la loi de 1905, c'est cette dernière conception qui, juridiquement, l'a emportée. Mais, idéologiquement, la première conception est restée très présente dans le débat laïque et elle peut être prééminente dans les périodes de repli identitaire. Ce débat, vieux d'un siècle, reste très actuel et nous devrons l'approfondir lorsque nous traiterons du comment peut se concevoir la laïcité au XXIème siècle.

La transformation des esprits

Du début du XXème siècle aux années 80, les grandes institutions de socialisation que sont l'école et la médecine sont hégémoniques. Elles sont cependant contestées. Ainsi pour l'institution scolaire, dès la fin de la première guerre mondiale des réformes qui auront peu d'effet sont mises en œuvre. Mais à la fin des années cinquante, les services de la statistique constateront que le niveau scolaire général du pays a peu progressé. Les réformes alors entreprises trop tardivement (loi Debré 1959, réforme Haby) aboutiront à la fin de « l'école républicaine » pour déboucher comme le disait François Furet sur l'école démocratique de masse. Malgré les nombreuses réformes des ministres qui se sont succédées, la France n'a pas réussi, à ce jour, à créer une nouvelle école.
Si la médecine a longtemps été à l'abri des critiques, à compter des années 70, l'espérance de vie qui était source d'espérance perd de son importance au fur et à mesure que la revendication du «droit de mourir dans la dignité » gagne en importance. Le fantasme de la toute puissance médicale est déstabilisé surtout après la crise du sang contaminé, la meilleure connaissance, par le public, de l'existence de maladies nosocomiales ou des affaires comme celle de l'hormone de croissance.
En fait le citoyen du XXème siècle après deux guerres s'est forgé une autre idée de la science et de la vérité scientifique. Si on pouvait encore, après la seconde guerre mondiale, opposer un 'bon' progrès pacifique (le nucléaire civil, par exemple) au 'mauvais' progrès guerrier (la bombe H). Les Français étaient toujours dans une modernité établie. Mais depuis les années 70 /80, les certitudes qui étaient le moteur de l'espérance en l'avenir sont battues en brèche par le doute et le questionnement critique aussi bien vis-à-vis du passé que du futur. C'est ce que Jean Baubérot ressent comme l'annonce d'une nouvelle mutation institutionnelle constitutive d'un troisième seuil de Laïcisation.
Dans une prochaine note, nous nous proposerons de rechercher les causes de ces mutations pour ensuite définir les pistes qui pourrait être suivies pour mettre en place, dans un concept laïque, une politique de vivre ensemble.
_________________________
1 Olivier Abel Conférence Philosophie et Religion : le couple infernal CCEFR Montreuil le 16 octobre 2007
2 Marcel Gaucher : le désenchantement du monde p 176
3 Jean Baubérot distingue trois seuils de Laïcité. Chacun de ces seuils est marqué par une mutation des institutions. Le premier correspond à la période 1789 /1803, Le second à la période 1880 /1905, avec les lois scolaires et la loi de 1905. Il pense qu'un troisième seuil serait apparu au cours de la période 1968 /1990. Au cours de cette période qui a vu la montée de la critique du modernisme et la fin de l'expérience communiste (chute du mur de Berlin) commence un certain déclin des institutions marquant, par là-même, l'entrée dans une nouvelle période de mutation.
4 Jean Baubérot…
5 Claude Nicolet L'idée républicaine en France, Gallimard, 1982, 310s
6 W Frïjhoff L'offre d'école, Publication de la Sorbonne, 1983, 263-275, cité par Jean Baubérot dans une conférence faite à la MIVILUDES en 2004, (Blog 5 février 2005)


22/02/2008
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